125° jour

20h45, au bord du gouffre.

Parmi nos objectifs du jour, une des étapes majeures du projet consistait donc à produire un prototype plus vrai que nature, destiné à impressionner les gogos (désolé !) ce à l'aide de ces nouvelles techniques de prototypage rapide qui apparaissent et se bousculent à chaque changement de saison. Pour cela, il est nécessaire de fournir des fichiers électroniques représentatifs du résultat attendu, fichiers réalisés à partir d'un logiciel de conception assisté par ordinateur – tu parles d'une assistance, travailler sur une machine capricieuse et versatile, capable de se mettre en rideau à la moindre contrariété !

Commencèrent alors les longues soirées à s'auto-flageller pour avancer plus vite, les yeux rivés sur un écran parsemé d'une multitude de feux d'artifices, plus souvent pour cause de fatigue que par volonté festive. Il est certain qu'à l'époque chevaleresque de la pointe Rotring®, même si tout n'était pas rose, ces phénomènes n'existaient pas !

Le fait de tirer la souris – ne riez pas ! – ou pousser le mulot reste une somme d'actions parfois stimulantes, souvent lassantes, mais rarement concluantes au premier coup d'œil... ni même au second quand on y pense bien ! Ces formidables logiciels ont peu à peu altéré les bases de la conception, conférant un faux-semblant de perfection et d'autocorrection du travail en cours qui poussent l'utilisateur à s'enfermer dans un doux cocon de négligence, dotant la machine d'une clairvoyance inexistante. Malheureusement, les conséquences prévisibles n'apparaissent pas toujours au bon moment, et quand on les découvre à la réception des premières pièces de série, il est facile d'imaginer la force de l'ouragan répressif qui en découle.

Dans le cas présent, force est d'admettre que les risques étaient minimes, puisque la durée de vie des fichiers nécessaires au maquettiste est relativement éphémère. Mais ce travail dans l'urgence peut aussi être source de contrariétés et de stress, d'autant que le résultat sera soumis aux yeux du client, qui aura vite fait de se forger une opinion – plutôt mauvaise par expérience - à partir de ce qu'il aura en mains.

En plus, il fallut compter avec l'inévitable loi de Murphy – ou celle de la Tartine, au choix du lecteur – qui s'était invitée de manière quasi systématique, commençant par mettre les serveurs en rideau, puis enchainant par une coupure du réseau, empêchant ainsi tout envoi de fichiers par courriel, pour conclure par une bonne coupure de courant, laissant sur le bord de la route un ou deux disques durs n'ayant pas supporté ce genre de traitement. Bien évidemment, les machines incriminées étaient celles utilisées pour l'élaboration des fameux fichiers destinés au maquettiste et, comme de bien entendu, elles rendirent l'âme avant que toute sauvegarde n'eu été faite !

On se doute que ce fut loin d'améliorer l'état de tension des deux mécanos désignés pour cette mission majeure. Mais cahincaha les fichiers finirent par être exploitables, vérifiés, contrôlés et revérifiés, zippés puis expédiés vers cet artiste méconnu qu'est le prototypiste, homme de l'art qui mérite à lui seul un chapitre complet... et tiens ! D'ailleurs, je m'en vais de ce pas conclure celui-ci pour entamer la suite !

Longue parenthèse culturelle : 

Il est quand même utile de jeter les bases du personnage en charge de la conception dite mécanique des projets. Entendez par là qu'il s'occupe de tout ce qui n'est ni électronique, ni informatique. Généralement responsable de l'enveloppe physique du produit, qui, souvenez vous, sort de la boîte à malice d'un designer, le mécanicien – parfois surnommé affectueusement « graisseux » à cause des relents de machine outil qu'il tient d'un sombre passé parsemé de copeaux en tout genre – le mécanicien donc, se doit aussi de composer avec des règles et des outils de conception novateurs. Si, depuis l'avènement de la CAO (ou DAO, voire toute autre initiale précédant un AO) les moyens ont fortement progressés, notez que le taux d'inepties qui en découle a littéralement explosé. Sous prétexte de gagner du temps, de l'argent donc, il se voit passer plus de temps à corriger des erreurs qui n'aurait pas eu l'heur d'exister à l'époque de la planche à dessin et de la règle à calcul. Difficile à croire ? Allez donc poser la question à votre voisin mécanicien, mais attention ! Choisissez de préférence celui blanchi sous le harnois, et non une de ces jeunes pousses fraîchement éclose de l'école, le pauvre n'ayant probablement jamais vu ce genre d'antiquité ailleurs qu'au musée (pas d'interprétation hâtive : on parle toujours de la planche à dessin !).

Clôture de la parenthèse.